Témoignages

Jean-Claude Brialy

Acteur, réalisateur, scénariste et écrivain
3 juin 2005

Raymond Moretti est un grand peintre.

Artisan infatigable, il mélangeait les couleurs avec audace, moderne son crayon courait sur les feuilles blanches, il savait saisir l’œil, le pli de la joue ou du menton, il donnait à ses portraits une vérité poétique, il inventait des sculptures gigantesques.

Avec son imagination vagabonde Raymond Moretti était un humaniste, discret, généreux et flamboyant. Il aimait la vie et les autres.

Travailleur acharné, il laisse une œuvre magnifique connue du monde entier.
Petit, trapu, apparemment solide, il a rejoint le paradis des Artistes dont il était un enfant aux mille dons.
Je l’ai connu il y a 50 ans, je vendais ses dessins dans les galeries, on me prenait pour lui, j’en étais fier, c’était mon frère.


Jean-Claude Brialy
Fondateur
Président de l’association 9 mai 2006 - 30 mai 2007

 
© Rindoff-Petroff

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© DR

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Albert Uderzo

Dessinateur et scénariste de bande dessinée
31 octobre 2008

Raymond Moretti, ce grand petit bonhomme qui s’intéressait à tout laissera à jamais une œuvre gigantesque dans le monde de la Culture et je suis très fier de l’avoir connu.

C’est un grand ami commun qui me présenta à lui peu après le décès de René Goscinny, décès qui on s’en doute, m’a particulièrement perturbé alors. Je ne sais pas pour quelles raisons je lui confiais mon désarroi ; peut-être la sympathie réciproque qui a émané de cette première rencontre où je lui disais la fin pour moi d’une belle aventure qui avait duré vingt-six ans et qui s’achevait avec une énorme brutalité. C’est alors qu’il m’a convaincu de poursuivre cette œuvre commune avec la manière particulière qu’il avait de percevoir la nature des gens et la réalité des choses. Pour cela je lui devrais toujours beaucoup.

C’est ainsi que j’ai fait partie de  tous les amis qu’il recevait à la table d’hôte dont le gratifiaient les propriétaires du restaurant La Tour de Montlhéry aux Halles. C’était déjà une confrérie qui l’entourait en l’écoutant parler avec un enthousiasme sans bornes de tout ce qui l’intéressait et beaucoup de choses en faisaient partie.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les qualités de Raymond Moretti, cet Artiste qui ne s’est jamais contenté d’un satisfecit et qui a toujours voulu aller plus loin dans son œuvre.

D’autres témoignages en apporteront les preuves.


Albert Vieu

Ecrivain
7 mai 2009

Autour des années 1942 – 1943, le conservatoire Municipal de Dessin et de Musique de la Villa Thiole, proche de la place De Gaulle, accueillait le jeudi toute la journée de jeunes élèves des écoles communales des quartiers voisins. Ils venaient suivre des cours de dessin et parfaire un talent qui s’affirmait.

Raymond Moretti faisait partie de cette équipe de jeunes bruyants et peu disciplinés qui s’adonnaient avec passion à un passe temps favoris le dessin.

Je partageais avec lui ces moments d’expression picturale.

Mlle Trachel (apparentée à Edouard Fer) et Mlle Grangeon son assistante, surveillaient avec bienveillance et fermeté à la bonne tenue des cours.

Parmi ces jeunes talents qui s’appliquaient à reproduire des statues ou des bustes en plâtre de Cicéron, de Platon ou tout autre visage de l’antiquité. L’un d’eux se distinguait par l’originalité de ses dessins. Ils comportaient toujours une expression inédite et séduisante. Ce jeune talentueux, c’était Raymond Moretti.

Il glanait les meilleures notes et les plus élogieuses appréciations.

Cette notoriété ne lui tournait pas la tête, il demeurait un excellent camarade de jeux, toujours prêt à participer à quelques espiègleries si l’occasion s’en présentait.

Le poil « à gratter » et le « fluide glacial » dont on imbibait les sièges de la classe, faisait partie de nos distractions.

Le quotidien était émaillé de difficultés. Nos parents s’acharnaient a pallié au manque de ravitaillement et de denrées essentielles, ils subissaient d’interminables attentes devant les magasins d’alimentations.

Zigzagant parmi les troupes d’occupations et les bombardements ponctués des tirs de la DCA, les enfants que nous étions n’avaient pas besoin de « consoles de jeux Nintendo », ni de MP3 pour les images et le son.

Tout cauchemar a une fin. Sorti des galères de l’occupation en 1945, la vie normale repris son train-train quotidien. Raymond Moretti parti à Paris a disparu de notre univers de potache pour devenir un peintre de talent et artiste réputé.

Je dois à Louis Nucera et Ralph Gatti de l’avoir retrouvé autour des années 1985. Ce fut alors un festival quotidien de moqueries dont nos semblables faisaient les frais. Sa notoriété s’amplifiait, il demeurait un homme affable avec ses amis et ses copains.

Avec mon indéfectible amitié.


André Asséo

Journaliste, écrivain
Novembre 2008

Nous étions à Nice en 1956. Un ami me dit un jour : « Viens, je t’emmène chez Moretti », -« Qui ? », -« Un jeune peintre qui sera célèbre tant son talent est grand ».

Pablo Picasso fit le même pronostic, et Jean Cocteau et Joseph Kessel, et tant d’autres.

Notre amitié fut immédiate, fulgurante. Nos fous rires innombrables. Nos nuits commençaient à 21h et s’achevaient au petit matin lorsque nous avions épuisé les ressources du monde et nos propres espoirs.

Un jour je quittais Nice pour Paris. Raymond ne tarda pas. Il vint avec son "Monstre" enfermé dans des caisses. Les Halles, d’abord, La Défense ensuite. De nouvelles relations vinrent grossir le cercle de l’Amitié. Il m’échappa un peu, la vie est ainsi faite. Mais rien ni personne ne fit la moindre égratignure sur notre Amitié.


André Bercoff

Journaliste, écrivain
Juin 2005

RAYMOND MORETTI suscitait l’amitié comme Casanova l'amour. 
Personne ne pouvait résister au charme de ce petit homme à l'énergie démultipliée, aux projets artistiques démesurés, lui qui bâtit un « monstre « de bois, d'acier, d'aluminium et de polystyrène qui gît désormais - précieuse preuve de son talent multiforme - dans un sous-sol du parvis de la Défense. Moretti, qui peignit les cauchemars totalitaires dans « Les cris du monde », qui opéra de savoureuses jam sessions artistiques avec Jean Cocteau, qui fût l’ami d’Henri de Monfreid et de Joseph Kessel, sût allumer autour de lui, aux studios de la Victorine à Nice, puis dans le quartier des Halles, à Paris, une célébration pemanente et quotidienne de l'amitié. Il y avait table ouverte au restaurant 

« La tour de Monthléry » où se croisaient Brassens et Nougaro, Kessel et Macias, Asséo et Nucéra et beaucoup d'autres pour boire jusqu'à plus soif avec un peintre qui ne buvait que de l’eau, un dessinateur qui ne dormait jamais et qui confectionna pendant des décennies, pour le Magazine Littéraire, les portraits des plus grands écrivains du XXème siècle. Un mystique laïc qui connaissait presque par cœur la Bible et la Kabbale, et qui lisait cinq livres par semaine. Moretti : la démesure était sa mesure. Il avait horreur de s'économiser. 
Il restera dans l'histoire de l'Art et dans celle du panache.


André Freises

Conservateur Honoraire du Musée Paul Valéry à Sète
Mars 2006

Raymond Moretti : Solitaire, solidaire

D’un métier, d’un savoir-faire très sûr, abouti, cet « homme qui peint », comme il se définit lui-même, est un perpétuel chercheur, n’étant pas de réponse mais de question, tel un scientifique, il considère ses certitudes non comme des acquis, mais comme des points de départ. Il refuse la compétition, s’interdisant de discourir sur la peinture, la sienne comme celle des autres.

Solitaire : comme créateur, il recherche l’isolement du noir, et s’entoure pour travailler d’un mur de musique de jazz en particulier. Rigoureux et perfectionniste à l’extrême, pour se trouver, il cultive le « bien faire ».

Solidaire : en humaniste qui exige le droit à la différence, il s’implique dans l’aventure humaine. D’un oeil curieux et avide d’ »informations », il scrute les civilisations antiques pour percer, en particulier, le mystère des signes ; de l’autre, d’une lucidité redoutable et intransigeante, il fixe le devenir des sociétés actuelles.

Fidèle en amitié, il rêve d’une communauté d’individualistes.

On ne peut s’étonner de trouver à ses côtés, comme compagnons de route, des complices comme Picasso, Cocteau, Brialy, Kessel, Brel, Devos, Brassens, Nougaro, Legrand, Reeves, Bolling….

La solitude n’excluant pas la générosité, l’exubérance de la couleur la sobriété du trait, l’unicité de l’oeuvre sa diffusion, les contradictions et les ambiguités relevées souvent à propos de Moretti et de son oeuvre ne sont donc qu’apparences. La démarche consciente et responsable est plutôt la recherche intense et sincère de l’équilibre, du centre de l’union de l’homme et de l’oeuvre.

Souhaitons que l’édifice Moretti continue à s’élever comme un menhir monolithe certes, mais aussi lisse et rugueux, un et plusieurs à la fois, Solitaire et Solidaire.

Raymond on t’aime


Bernard Bled 

Directeur de l’EPAD
9 juin 2005

A Raymond, 
Nous nous sommes vus pour la première fois sur le Parvis de la Défense. 
Je venais d'arriver. 
Toi, tu étais là depuis toujours, père de chacune des tours, gardien du temple de la modernité, l’esprit des lieux, l’âme du quartier, osmose, symbiose, harmonie, rime riche, rythm and blues, incontournable, irremplaçable, évident comme le jour qui naît et le temps qui s'égrène. 
On s'est reconnu, tout de suite, comme toujours lorsque la rencontre de ceux qui s'aiment va de soi et s'impose. 
Nous avions mille choses à nous dire et mille passions en commun. 
D'abord notre ambition pour ce site de la Défense que nous voulions au sommet de l'excellence. 
Toi, le pionnier, qui seul avec les engins de chantier avait pris possession
des lieux, tu me racontais la belle aventure de ce grand paquebot dont tu avais construit les machines, le Monstre comme l'appelait Kessel, et la grande cheminée monumentale et multicolore. 
Et au détour des œuvres de tes copains, Agam, Calder ou Miro, tu m'entraînais dans les méandres de ta vie. 
Quel voyage nous faisions de Paris à Jérusalem, de Nice et de Toulouse jusqu'à Tautavel attablés au guéridon d'une brasserie de l’ami Rieutord ou enfoncés dans la banquette en moleskine de l'intemporelle Denise. 
Formidable conteur, à l'œil allumé d'une étemelle malice, tu m'invitais à partager les moments forts de tes rencontres à la manière de Gabin racontant à Belmondo la descente du Yang Tsé Kiang. 
Passaient alors, comme dans un film de Guitry, les personnages d'un défilé extraordinaire : Picasso et Cocteau, Armstrong et Nougaro, Nucera et Coumère, 
Boiling et Legrand, Brialy et Devos suivis de l’innombrable cohorte de tes amis de tout horizon, de toute ambition des plus célèbres au plus modestes car ton humanité et ta générosité avaient conquis le monde entier. 
Un vilain matin de juin ils ont appris que tu avais décidé de rejoindre ceux qui avaient partagé les heures folles de ta bohème dans l'insouciance de tes vingt ans. 
Et tu nous laisses seuls et vides, mutilés et anéantis mais malgré tout convaincus
qu'il est des yeux qui brillent
quand les paupières sont closes
qu'il est des feux qui brûlent
quand les flammes sont éteintes
qu'il est des cœurs qui parlent
quand les voix se sont tues et que l'ombre demeure
lorsque le corps n'est plus.


Christian Montaignac

Journaliste, écrivain
12 novembre 2008

Raymond était un bougon magnifique.

Si quelqu’un aimait l’amitié, savait regarder la société en face, c’était bien lui.

Il a incarné un mot très en vogue aujourd’hui, quelque chose comme un beau pays.

Grâce à lui, auprès de lui, au long de nos rencontres du côté des Reflets de Courbevoie, j’ai découvert et visité le cœur de l’empathie.


Claude Bolling

Pianiste,compositeur, arrangeur et chef d'orchestre
14 avril 2009

Raymond Moretti, en plus du grand peintre que j'admirais, de l'amateur et du connaisseur de jazz que je connaissais, était mon "copain de nuit".

Il dormait peu, préférant la nuit au jour pour peindre, je restais tard à mon piano, appréciant la quiétudede la maison silencieuse.

Alors, on se téléphonait. Pour joindre Raymond, il fallait connaître le code, comme au cinéma : trois sonneries puis raccrocher, puis deux sonneries encore.

Les sujets de conversations entre les deux taiseux que nous étions pouvaient aller du jazz à l'actualité, ou aux ovnis qui nous passionnaient. Les discussions pouvaient durer jusqu'au petit matin et étaient aussi passionnées que passionnantes.

Aujourd'hui encore, j'ai mal de ne pas pouvoir saisir le téléphone vers les 2 heures du matin pour appeler mon copain Raymond, tant il est vrai que jamais au grand jamais son trou dans l'eau ne se refermera.


Claude Llabres

Toulouse, 1998

LA "GALERUE" DE MORETTI

Moretti a des exigences. En général, elles sont marquées par la tolérance, la recherche, la connaissance de l’autre. Parfois, comme les traits fulgurants de sa peinture, elles expriment avec férocité une forte indépendance aux modes d’un microcosme parisien où artistes et critiques d’art se causent entre-eux. Sourds à la commande et aux interrogations citoyennes.

Ma première rencontre avec Moretti a 15 ans. Elle s’est faite autour d’une maquette à l’échelle 1 d’un tronçon de 100 mètres du mur de Berlin. Ce jour là, l’exigence de l’artiste était de peindre ce triste mur des deux côtés. Avec les enfants des écoles. Des écoles des deux côtés. Le temps que d’ Est en Ouest, les politiques comprennent le geste d’avenir du peintre, l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe les avait rattrapés. Piques et pioches et le mur était poussière.

15 ans et à l’initiative de Dominique Baudis, nous nous sommes revus.

Moretti est resté dans la fresque de rue. Il est passé du 100 mètres de mur à 100 mètres de plafond, de la guerre à la paix, de Berlin à Toulouse. 15 ans et une passion, une vivacité intactes. 15 ans et une exigence inaltérable.

Les dessins de Moretti ne sont pas sortis de sa seule imagination. Si pour le trait, la couleur, la forme, la composition, le peintre est resté seul devant sa toile, il a beaucoup consulté et étudié livres, documents, oeuvres d’art et iconographies. Pour chaque plafond il se préparait à écrire un livre. Exigences d’un homme qui avant de conter leur histoire aux toulousains commence par l’apprendre.

D’autres diront, mieux que moi, ce qu’ils pensent de sa façon de poser la matière et de marier les couleurs. Je veux pour les tableaux de la fresque souligner ce choix culturel qui rend accessible et lisible chaque plafond quel que soit le côté par lequel il se dévoile aux regards. L’attention exigeante au public est en amont celle de Moretti à intégrer en les respectant les travaux des historiens, des plasticiens, des chercheurs et des photographes qui ont écrit Toulouse au fil des siècles. Cette attention n’a eu d’égale que celle de son suivi du travail des ouvriers artistes des ateliers de sérigraphie.

Un seul regret, au moment de l’accrochage, celui de voir que les arcades du Capitole n’abritent que 29 caissons.


Dadie Schmitt

19 février 2009

Octobre 1975. Un automne doré caressait la terrasse d’une brasserie des Champs-Elysées. Trois tables plus loin, un confrère journaliste nous fit signe. Il proposa un café avec son invité :

- Raymond Moretti…
Une pause et il ajouta
- Tu sais, Jean, Le Monstre, à La Défense…

Muette, je voyais, palpable, une connivence s’installer entre ces deux mecs. J’étais subjuguée par cet homme en noir. Il exsudait une force, une intelligence rare. Un regard sombre qui scalpait l’âme plus sûrement qu’un bistouri et un visage dont la noblesse classique ne s’est jamais démentie, à l’image de ce lavis qu’il m’offrit lorsque, s’extirpant du bitume parisien, il me fit l’honneur de séjourner quelques heures dans le bunker cerné de gorges et de causses sauvages dans lequel, mon mari et moi, nous venions nous reposer des ardeurs parisiennes.

Il tirait sur un petit cigare noir puant, épouvantable. Mais j’avais l’habitude de ces exhalaisons : c’est tout juste si, endormi, mon fumeur de gitanes ne tétait pas son paquet.
Il sortit un petit carnet surchargé de signes, façon kabbale.
Un rendez-vous fut fixé : même date, même heure, même endroit, quatre semaines plus tard.
En sortant du bistrot, mon mari me dit : "J’irai au rendez-vous, mais il ne sera pas là".

Il y fût.

Leur affection a duré trente ans, avec des rendez-vous ponctuels que ni l’un, ni l’autre, n’ont jamais ratés. Ils m’y conviaient parfois. J’en étais fière.

Ils ont fait de rocambolesques voyages, inventé d’insolites promenades, élaboré de furieux subterfuges, perfectionné de sulfureuses élucubrations intellectuelles.

Ils échangeaient de laconiques appels :

- ça va toi
- oui. Et toi ?
- ouais. Salut

J’entendais que l’amitié n’avait pas besoin de mots superflus.

Mon mari, Jean Schmitt est mort, Raymond quelques mois plus tard.
Mais j’ai, sur mes murs, ses fulgurances électriques, ses traits puissants, et plus encore, mon portrait qu’il m’a offert pour mes quarante ans.

Comment t’oublier Raymond le Généreux, l’Ami Moretti ?

Je suis donc, à jamais, triste deux fois plus.


Dominique Martial

Réalisateur
22 avril 2009

Ma première rencontre avec Raymond Moretti remonte à 1987. A l'époque avec Jean-Claude Guilbert, mon vieux complice de bien des aventures, nous avions imaginé une émission littéraire "AUTEURS EN PAGES" de trois minutes destinée à la télévision ou des écrivains assis sur un fauteuil qui tournait comme une toupie lisaient une page de leur dernier livre. Plusieurs pilotes avaient été réalisés avec des auteurs célèbres, mais il manquait un habillage pour le générique. Jean-Claude me suggéra Raymond (l'un de ses meilleurs amis) " Pour çà, je ne vois que Moretti, inutile de chercher ailleurs!" la tête dans les épaules, je me suis bien gardé de suggérer quelqu'un d'autre.  "Le problème avec lui est que ta gueule lui revienne" ajouta -t-il. Un rendez-vous fébrile fut donc pris dans un bistrot à la Défence (son fief). De suite, le petit homme en noir a l'oeil vif qui mâchouillait un cigarillo biscornu me plut. Raymond élabora sur un coin de table plus vite qu'on  n'effeuille les marguerites le concept du générique. Un gros plan d'une bouche à la Marilyn qui articulerait des voyelles et des consonnes ,un signet avec la gueule de Proust... Au sortir du bistrot après deux heures de conversation et un petit coup dans le nez, Jean-Claude me dit " C'est gagné, ta gueule lui revient, je le connais le Raymond. " Pendant plusieurs jours Raymond Moretti et un technicien ont mis en images à l'aide d'une palette graphique son concept. Le résultat était super, mais au finish, aucune chaîne de télévision ne voulut de notre projet. Pour les décideurs de l'époque, une émission de trois minutes, c'était trop court. Quelques années plus tard, l'idée était sur les écrans, mais réalisée par d'autres." L'écrou et le boulon" avait dit Raymond "C'était trop tôt, ça n'a pas pu se visser".


Françoise Benhamou

Décembre 2008

La vie est un tableau, Moretti fut un Maître.

C’était il y a…quelque 40 ans, à Nice, où accompagnée de mon futur mari, je fis la connaissance de Raymond qui était déjà MORETTI. Une première rencontre, c’est tout ou rien, ce fut un tout. La naissance d’une amitié ne s’explique pas, le dialogue est bon ou alors le film n’existe pas, et comme la vie est aussi un cinéma…

Raymond devint très vite un grand frère pour moi, aucun sujet n’était tabou, on abordait tous les aspects de l’existence sans retenue, nos discussions et nos propos étaient parfois au scalpel parce qu’il fallait "trancher", mais tout avait le mérite d’être clair, net et précis, à l’image de Raymond lui-même. Toujours plus tournée et portée par la musique – bien que l’Art ait toujours fait partie de ma vie – je n’ignorais pas l’œuvre déjà étonnante de Raymond, et je fus d’emblée frappée par ce génie créateur foisonnant d’idées qui passait ses nuits à travailler sans cesse avec, souvent, pour compagnie la musique. Du timbre poste au mur de Berlin, le talent de Raymond n’avait ni frontières, ni limites.

Les diners avec les amis, les copains (les vrais) étaient toujours des moments privilégiés d’échanges d’opinion, que les uns soient musiciens, peintres, auteurs, figures politiques…l’important se situait dans la qualité humaine des êtres, noblesse de cœur et d’esprit.

Ce qui fut toujours au rendez-vous avec Raymond fut la vérité, rien jamais de dit "à moitié" chez cet érudit de Moretti, autodidacte remarquable par sa connaissance approfondie de l’histoire des civilisations.

Bien sûr, nous pratiquions aussi largement la franche "rigolade", alors qu’à d’autres moments la gravité s’emparait de nous dans les moments de malheur.

Nous partagions aussi l’humour avec Raymond, la dérision également…même à nos dépens.

Un jour entrant dans un restaurant où – pour une fois il n’était pas dans ses habitudes – le maître d’hôtel peu inspiré demande à Raymond : « c’est pour dîner, monsieur… ?, NON, répondit Raymond impavide, c’est pour prendre une douche !!!!!!!

Dans tout ce qu’il faisait, Raymond était plus attentif aux autres que ceux qui ne le connaissait pas auraient pu l’imaginer, certes il fallait faire partie du "clan". Jamais de paroles inutiles, le regard devinant l’autre, c’était Moretti ; aussi vivre l’amitié avec lui nous fut bonheur dans la complicité jamais ternie.

Son œuvre immense m’a éblouie, et le "frère" parti reste pour toujours l’Ami qui jamais ne m’aura déçue, encore moins peinée…sauf en s'en allant.


Henry de Lumley

Directeur de l’Institut de Paléontologie Humaine
7 avril 2009

J’ai rencontré pour la première fois Raymond Moretti en 1967, dans les studios de la Victorine, à Nice, alors qu’il avait entrepris d’engendrer le "Monstre", cette œuvre monumentale qu’il voulait en perpétuelle expansion comme l’univers.

Nous avons alors évoqué la possibilité d’installer devant la façade du Musée de Paléontologie Humaine de Terra Amata, alors en cours de construction, une sculpture qui rappellerait l’histoire du cosmos depuis le Bing-Bang jusqu’à son apogée, du point alpha au point oméga.

C’est le vendredi 17 septembre 1976 que cette sculpture fut inaugurée.

Depuis, liés par une solide amitié, nous avons souvent réfléchi ensemble sur les grandes étapes de l’aventure culturelle de l’Homme : l’acquisition de la station érigée bipède qui, avec les premiers hominidés, a libéré les mains des tâches de locomotion il y a environ 7 millions d’année ; l’invention de l’outil et l’apparition du langage articulé qui témoignent de l’émergence de la pensée conceptuelle il y a 2,5 millions d’année, lorsque les hominidés deviennent des Hommes ; l’émergence du sens de l’harmonie il y a 1,5 millions d’année avec les premiers bifaces qui présentent une symétrie bilatérale et bifaciale ; la domestication du feu vers 400 000 ans qui a été un formidable moteur d’hominisation, facteur de convivialité, autour duquel ont émergé les identités culturelles ; la naissance de l’angoisse métaphysique et l’émergence de la pensée religieuse vers 1000 000 ans avec les premières sépultures ; l’explosion de la pensée symbolique vers 35 000 ans avec les premières parures et la naissance de l’art mobilier et de l’art pariétal ; la sédentarisation au septième millénaire avant J.C avec les premiers peuples agriculteurs et pasteurs, les premiers villages et la mise en place de structures sociales complexes ; l’écriture il y a un peu plus de 3 000 ans avant notre ère qui permet de transmettre des messages à travers l’espace et le temps.

Passionné par cette grande aventure de l’Homme, Raymond Moretti a souvent voulu l’évoquer dans ses œuvres que ce soit des tableaux, des sculptures, des affiches, des illustrations d’ouvrages, des timbres.


Hubert Reeves

Astrophysicien
10 avril 2009

Je voudrais témoigner ici de la grande estime et de la grande amitié que j'avais pour Raymond .
Son talent de dessinateur était immense .
Il en avait le génie !!!


Jacques Chirac

Président de la République
3 juin 2005

C'est avec peine que j'ai appris le décès de Raymond Moretti.

Artiste complet, tour à tour peintre, sculpteur, illustrateur, graphiste hors pair, il a su recourir aux techniques les plus variées pour inscrire au cœur des villes ses œuvres aux couleurs éclatantes.

Homme de fidélité et de convictions, toujours animé par une inspiration humaniste et généreuse, il n'a cessé d'aller à la rencontre des hommes et de son époque.

Artiste populaire au meilleur sens du terme, il a su créer des images fortes et amples, présentes et familières désormais pour tous les Français dont beaucoup côtoient ses œuvres au quotidien, à Paris, La Défense ou Toulouse.


Jacques Genthial

Directeur Central honoraire de la Police Judiciaire
Avril 2009

Au début des années 90, Directeur de la Police Judiciaire, je recherchais un emblème pour la Police judiciaire. Il y avait alors autant d’écussons que de brigades. Et ces figures n’étaient pas toujours de très bon goût… C’est dans ces conditions que mon entourage m’a permis de faire la connaissance de Raymond Moretti.

Son sourire goguenard, sa conversation cultivée, son esprit ouvert, ses affirmations passionnées, son plaisir de la dialectique (« comprenez-moi… »), donnaient à sa présence une force et une chaleur étonnantes.

Nous sommes devenus amis. Mais pas moi seul. Il a séduit tout mon Etat-major… A tel point qu’il y eut pendant des années le déjeuner mensuel de "Moretti et des flics" chez Jack et Denise à la Tour de Montlhéry.

C’est là qu’il m’a présenté plusieurs essais et qu’a été adopté l’écusson cerclé de bleu, blanc, rouge, où se détache le profil de Clémenceau sur celui d’un tigre.

C’est ainsi que la P.J, héritière des brigades du tigre, se représente dorénavant.

Il en était fier ; il me disait « je ne peux pas ouvrir la télé sans le voir ». Et ça reste vrai pour tous. Son œuvre qui apparaît régulièrement en fond de l’évènementiel, c’est bien une façon de continuer à le faire vivre.


Jean Glavany

Ancien ministre
Député des Hautes Pyrénées
14 mai 2009

D'abord j'ai connu Raymond Moretti - le peintre. Ses oeuvres à la fois modernes et romantiques, mélange original et audacieux du figuratif et de l'abstrait. Le peintre riche de la diversité comme en témoignent ses plafonds peints sous les arcades de la place du Capitole à Toulouse qui m'avaient fasciné depuis longtemps.

Et puis, j'ai connu l'homme, rencontré grâce à des amis communs.

Et nous avons partagé bien des moment d'amitié autour de "bonnes bouffes" comme on dit.

J'ai découvert un être authentique, simple et chaleureux en diable. Depuis son atelier-béton de la Défense jusqu'à sa visite à Maubourguet où il m'avait rendu visite, nous avons partagé de vrais liens.

Le départ de Raymond trop tôt, trop vite, a interrompu douloureusement cette symphonie inachevée...


Jean Louis Foulquier

Animateur de Radio et de télévision
Créateur du festival “Les Francofolies de La Rochelle” et du “Chantier des Francos”
Acteur de cinéma et de théâtre
Peintre
5 janvier 2011

Raymond, je me souviens

Les diners chez « Denise » dans les Halles, véritable inventaire à la Prévert.

Un Abbé, un Rabbin, un Franc Maçon, un Commissaire, un Voyou philosophe, un Journaliste mondain, un Poète et Toi au milieu, l’œil tendre et malicieux. Tous réunis par amitié pour toi.
Le jeune provincial que j’étais, rentrait dormir ivre de Fraternité.

Raymond, je me souviens

Nos promenades dans Paris la nuit, dans la fumée de ton cigarillos italien.
Tu parlais de jazz, de cinéma américain, de Nougaro.
Nos déjeuner en tête à tête, les œufs au plat, les raviolis froids à même la boite.
Tu écoutais fidèlement « studio de nuit » et un jour tu me dis que « je faisais de la radio en couleurs et que mes émissions étaient des toiles, des sculptures radiophoniques »
Tu me posais des questions, m’encourageais à faire comme je sentais, « Va au bout de tes passions et ta vie sera riche »

Raymond tu avais raison, grâce à toi je suis devenu un homme libre.

Souvent tu me manques.

J’ai une photo de nous deux punaisée dans « ma roulotte ».
Les nuits de vague à l’âme je te parle et parfois j’ai la sensation que tu me réponds.


Jean Marie Houdoux

Responsable des opérations exceptionnelles de Radio France "Elysées 81"
29 juin 2009


Claude Lagaillarde, rédacteur en chef des émissions spéciales de TF1, me donna rendez-vous à la tour de contrôle de ses repas préférés « La Tour Montlhéry » au cœur des anciennes Halles de Paris. « Je vous y attendrai, j'y serai avec mon ami Raymond Moretti. » 

J’entrai dans une taverne du Moyen Âge, revue et décorée par un tenancier rabelaisien, moustache en guidon de vélo et tablier noir ceinturant sa taille déjà labellisée « bonne bouffe ». L'entrée du bistrot ruisselait de guirlandes de saucissons et de jambons, surveillées par deux tonneaux de beaujolais et de côtes-du-Rhône mis à la disposition de tout entrant. Chacun attaquait les miches de pain à l’ancienne aux rondeurs de l’arrière-train d'un modèle Botero. Il était impossible de ne pas admirer ce tableau, le seul tableau de tout l’établissement qui n'était pas signé Moretti. 

Lui, l’homme en noir, était déjà arrivé, installé à sa table au fond d'une salle tout en longueur près des cuisines d’où s'échappaient les fumets de plats du terroir. 

On dit « la table de Moretti », en réalité, un véritable plateau de talk-show télé, sans camera et sans bling-bling, une mini-académie de l'amitié, une anti-Closerie des Lilas. 

Être l'invité de Moretti était un signe extérieur de reconnaissance de sa part. Les sociétaires de cette académie jouissaient tous d'une personnalité estampillée non-conformiste : Louis Nucéra, niçois comme lui, Philippe Sollers sans son fume-cigarette laissé en dépôt à la Closerie des Lilas, Michel Legrand soucieux d’oublier la gastronomie américaine, Raymond Devos qui jonglait avec les mots comme Raymond le faisait avec les couleurs, Jean-Claude Brialy qui n'avait jamais oublié qu'il avait vendu des lithos de Moretti lorsqu'il était arrivé à Paris sans le sou... Il y avait aussi des inconnus, le pompiste de RTL, le menuisier de sa galerie de la Défense, un journaliste stagiaire, le facteur de son éditeur... c'était l'univers insolite et baroque de la table de Moretti, sans oublier sa muse, la jolie et énigmatique « Sophie » dont le secret résidait dans le mieux-vivre du peintre. 

Un autre rituel : ne jamais parler argent.

A la fin du repas, chacun laissait un pourboire en faisant attention à ce qu’il soit ni trop, ni trop peu.

« J’ai connu que deux hommes capables de susciter autant d’amitié, affirmait le vieux Kessel : lui et Panait Istrati. »


Jean Marie Magnan

Romancier et essayiste
12 novembre 2008

RAYMOND MORETTI RECUEILLE L'HÉRITAGE ET ROMPT AVEC LE PASSÉ DE LA PEINTURE

Dans les rues aux grands pans de murs de ténèbres, le quartier des Halles entre errance et fornication. Les deux rêves de gloire devenus portes fantômes de l’amour éphémère (Saint-Denis et Saint-Martin), répétition si proche des mêmes formes architecturales, telle une figure de carte jumelée, se sont engourdies là sur leur histoire.

Pauvresses prostituées, pétrifiées sous leur linceul, le passant s'engouffre dans un labyrinthe biologique et pierreux en plein ciel fuligineux, d’un noir ou d’un bistre hugolien.

Paris-La Défense, place des Appels. Comme le hérisson se roule en boule et dresse ses piquants à l’approche du danger, se présente Le Monstre de Raymond Moretti avec ses boucles, ses volutes, ses reptations infinies de serpents qui se lovent, ses repliements dans l’œuf et aussi ses envols de flèches, ses crêtes de barricades, semblables à des ronciers, ses dentelures de barbelés.

De la revanche des damnés de la terre qui brandissent les outils de la conquête dans cette usine, qui n’est encore qu’une espèce d’église des catacombes dont l'édification se poursuit parmi les charpentes d’un monde en devenir, avec cette passion folle qui pousse Moretti à faire converger au-delà du disparate.

“Tout est dans les lettres” selon le Talmud. C’est avec l’apport des lettres hébraïques qu’il peint quelques-unes de ses œuvres les plus significatives dont l’histoire biblique lui fournit le thème. Ainsi opère-t-il une très personnelle réconciliation avec l’image par le signe. Devant les flammes et oriflammes de l’alphabet juif s’ouvre la mer Rouge pour la sortie d’Egypte, brûle sans se consumer le buisson ardent ou se libèrent par la mort les neuf cent soixante Zélotes sur l’éperon rocheux de la forteresse de Massada assiégée par les Romains.

Fidèle à l’esprit de Paul Valéry, Le cimetière marin selon Moretti, se veut composition de lettres regroupées, abécédaires flamboyants, mélangés aux éléments pour les rendre dicibles. Les flots projettent les vocables en gerbes, en poudre d’écrits contre le roc, expriment la mer.

Des copies d’antique comme la Vénus de Lespugue de la place du Capitole à Toulouse aux bas-reliefs moyenâgeux des Wisigoths et à la BD transcendée du supplicié sur la roue de l’affaire Calas - des pictogrammes de Riquet et le canal du Midi au théorème de Pierre de Fermat, Raymond Moretti dans sa quête obsédante d’une totalité reçoit d’imprévisibles messages qu’il conduit à un au-delà de leur syntaxe.

Il recueille le plus large héritage de formes de notre époque au lieu de rétrécir son œuvre et de se rassurer par la monoculture.


Jean-Claude Landi

Graphiste
Janvier 2009

Voici un moment particulier avec Raymond (mis à part les merveilleux instants chez Jack et Denise les mercredis.)

Un matin de très bonne heure Raymond m'avait donné rendez-vous sur la place des Reflets, je ne me souviens plus pour quelle mise en page d’affiche, et lorsque notre séance de travail fut terminé, je lui parlais des week end passés à Dieppe et des fruits de mer dont je raffole ; vers 9 heures nous avons commencé à avoir une petite faim ! alors il m'a emmené en déguster à côté de chez lui. Ce fut un moment délicieux. La Défense était silencieuse, nous étions seuls et bien sûr nous avons refait le monde.

Pour moi cela a été divin, simple, authentique ; je sais c'est peu de chose mais je m'en souviens toujours avec un plaisir immense.

J'admirais beaucoup Raymond pour toutes ses qualités professionnelles évidemment, mais surtout pour l'amitié qu'il distribuait et ce désir permanent de faire plaisir à ses amis. C'est un grand vide pour moi maintenant isolé dans la Bourgogne profonde.


Jean-Louis Berthet

Architecte décorateur et designer
7 juin 2005


J’étais fou. Pas une seule fois je n’ai pu penser ou imaginer que Raymond nous quitterait.

Nous sommes des centaines d’amis de Raymond et même si nous étions des milliers, nous n’arrivions pas à remplir son coeur de géant.

Dans la vie, j’ai connu beaucoup de personnages importants, beaucoup d’artistes au talent exceptionnel, mais jamais un autre Raymond MORETTI.

Avec Jean-Pierre KHALIFA, j’ai fait sa connaissance à l’occasion d’une exposition de la SAD au Grand Palais. Parce que notre tête lui revenait, parce que les idées que nous défendions pour promouvoir la création lui paraissaient fortes, il nous a proposé d’en faire bénévolement l’affiche. Dans ce cas, et cela aurait déjà été très bien, l’artiste vous fait un dessin souvent en « carton » que vous êtes à la fois obligé et heureux de prendre tel quel.

Avec Raymond, cela était complètement différent : il a travaillé sur le concept et nous a proposé trente dessins qu’il avait créés spécialement.

Nous devions choisir avec lui. C’est grâce à lui qu’un jour, sur la façade du Grand Palais est apparu un portrait « à la MORETTI » d’un EINSTEIN de 8 mètres de haut. Une immense langue rouge descendait jusqu’au sol, pour se répandre sur tous les emmarchements comme un immense tapis rouge. Lorsque le talent rejoint l’humour et la réflexion, c’est un bonheur pour tous.

Si le dessin de Raymond était si personnel et original, il a suscité des milliers de plagiats aussi mauvais que prétentieux. Je sais qu’il préfèrerait que je parle du peintre (mais des peintres de talent, il y en a énormément), mais je veux parler de ce dessinateur hors du commun, unique en son genre, reprenant le flambeau des grands dessinateurs de la Renaissance.

Raymond avait aussi un talent rare : celui d’aimer et de fasciner tous ses amis.

Je ne pouvais pas imaginer que Raymond nous quitterait un jour... mais je n’étais pas fou. Il restera avec nous jusqu’à notre propre disparition. A... Dieu.


Jeanne Augier 

Présidente Hôtel Negresco
30 octobre 2008

Lorsque Raymond n’était pas encore connu et que nous avions le bonheur d'avoir un client important au Negresco, nous trouvions toujours l'opportunité, avec mon mari, de l’inviter et de lui faire découvrir Raymond et ses œuvres en l'amenant dans son atelier avec l’espoir que cette personne devienne un grand client pour lui. 


Joseph Kessel

Journaliste. Ecrivain. Académicien
Paris, avril 1972

          Ce livre "DES HOMMES" te doit son titre

                                                                  et moi je te dois beaucoup plus :

                                                                                                              que tu existes et que tu sois mon ami.


Kriss

Productrice et animatrice France Inter
Mars 2009

On se baladait à l'intérieur du Monstre comme dans un jardin familier.

 "Le plus difficile disait-il, dans la peinture, c'est d'arrêter le geste au bon moment. Un trait de trop et tout est fichu. C'est celui-ci ou pas ?".

J'avais vingt deux ans, Claude Nougaro m'avait amenée jusqu'à lui, je m'étais sentie immédiatement adoptée.

Il dormait peu, et m'appelait quand il avait fini de dîner avec ses amis, "Qu'est ce que tu fais ?", je répondais "Rien, j'arrive" et j'allais l'attendre en bas de chez lui, pour l'emmener en voiture où l'humeur lui disait, pour attendre que le jour se lève.

Parfois on faisait le tour de Paris, à répétition, parfois on décidait d'aller à Bruxelles "parce que les glaces y sont meilleures". Et il me racontait… l'arrivée du Jazz en France en 45, la furia de Leonard de Vinci, l'audace de Picasso… Cocteau, Kessel… Il parlait sans forfanterie, de ces gens qu'il aimait pour leur démesure et j'apprenais le monde. Mais il aimait aussi écouter, et remettre les choses à leur place dans l'esprit d'une gamine un peu paumée. Je me plaignais d'une histoire d'amour compliquée, Raymond disait "Ecoute, tu veux du chocolat, tu prends du chocolat, tu manges du chocolat, et tu te plains parce qu'il a le goût de chocolat ?!?!!!".

Et puis il ajoutait "Dans 5 minutes t'es morte, alors ?" Je riais. Il disait,"Non je suis sérieux, dans 5 minutes t'es morte".

Alors il ne restait que l'essentiel: le culte de l'amitié, des éclats de rage devant la couardise, un appétit irrépressible, le respect des choses simples comme la gentillesse, la loyauté, ou la générosité.

J'aurais voulu dire des choses sur son art, je n'ai parlé que de son art de vivre, qui a changé le mien.


Louis Clair

Designer lumière et architecture
25 avril 2009

Raymond a toujours été pour moi comme un grand frère mystérieux venu d une autre planète.

Un grand frère car son attachement quasi filial à Henri, « Tonton »,  qui m a élevé, en a fait  naturellement pour moi un frère ainé dont l’affection bourrue ne s est jamais démentie.

Grand frère tout de noir toujours vêtu que  je regardais agir avec la bénédiction de tous, au delà des conventions sociales que l’on a tant essayé de m’inculquer.  Ses œuvres, sa dextérité, sa passion et son talent, son caractère  et sa vie d’artiste me fascinaient.

Il me vient bien des souvenirs qui m’envahissent quand je pense à lui et en écrire quelques uns c’est aussi ne pas mentionner les autres qui ne sont pas moins importants.

Parmi les plus nettes, je peux rappeler ces quelques passages du « film » qui nous a réunis par étapes.

A Nice, aux studios de la Victorine où j’ai grandi enfant, il vivait dans la villa de Rex Ingram, à l’étage, au dessus des sociétés de productions habitant les bureaux et plateaux  Il apparaissait vers midi et se joignait avec son toscan aux mémorables parties de boules, en jouant avec les pieds et en gagnant avec son complice, Tonton.

Quelles heures de franche gaité sous le caroubier !

Après avoir rempli la villa, de gigantesques toiles dont l’immense « cris du monde », il a bientôt occupé la moitié des 1000 m2 de la menuiserie pour travailler dans les 3 dimensions et garder témoignages des « sacrifices » qui disparaissent sous les « couches » des nouvelles inspirations. C’est alors que Henri lui a «  trouvé », miraculeusement apparu derrière le labo, un hangar tout neuf inoccupé, dans lequel il installa ses 3 menuisiers à demeure et bâti le « monstre ». Il recevait dans sa « cabane » en planches  construite à l’entrée du hangar. Ce fut le moment du tournage de son film. Période mémorable où je l ai vu dessiner. Sa main traçait avec une vitesse et une précision époustouflante.

Souvent le weekend, il nous rejoignait au cabanon, cabane de pêcheur « retapée »  sur la plage d’Eze sur mer. Là bas, tout en dévorant des gigantesques « pan-banias » faits par « Tatie », il jouait à la belotte avec une bande de copains à forte personnalité, tous ponctuant leur jeux de commentaires absolument ahurissants sur tout ce qui bougeait ou même seulement était, ici ou dans l’univers. Moments à apprendre la dérision et l’humour noir comme forces de vie.

A Paris il est arrivé avec le monstre dans ses bagages et s’est installé dans les halles Baltard, et « chez Denise ». Il est impossible ici de ne pas évoquer ces repas réunissant des fortes personnalités  de toutes sortes autour de repas pantagruéliques généreusement arrosés de vins solides, alors qu’il mangeait n’importe quoi, et que je l’ai jamais vu boire d’alcool.

C’est là qu’est apparue Sophie, comme une petite souris, toujours souriante, toujours affairée, inlassablement soucieuse du bien être de Raymond, et de son calendrier. Discrète ou distante ? En tout cas douce, gentille disponible et serviable. Depuis, elle a toujours été là, pas comme une ombre, mais plutôt comme un ange gardien, une présence constante, un rayonnement efficace.

A tel point que souvent pour ne pas déranger Raymond dont les horaires ont toujours été pour le moins « décalés » je préférais appeler Sophie et lui laisser les messages.  Ce qui n’empêchait pas celui-ci de nous appeler en pleine nuit pour confirmer les rendez vous en demandant, rigolard, «  tu dors » ?

Paris 1982, Pour l’anniversaire de la mort de Garibaldi, gigantesque héros niçois et français, dont l’idéal de liberté n’a jamais failli, je voulais réunir à cette occasion autour d’un repas, les principaux niçois de Paris. On se connait tous plus ou moins mais on partage tous de superbes souvenirs, nous avons été dans les même lycées et connus les mêmes profs, nous avons tous partagés les mêmes aventures autour des studios de la Victorine pendant les grands tournages. Raymond  m’a accueilli, en souriant. J’ai réservé à l’Alpe d’Huez pour 30 personnes. Nous nous sommes retrouvés à 4. Les complicités d’adolescents et de jeunes hommes ne résistent pas aux objectifs des hommes et femmes ambitieux. Raymond, hilare, m’a donné un petit paquet. A l’intérieur un petit trésor qui m’enchante quotidiennement depuis : trois portraits de Garibaldi originaux au crayon. Quel beau repas !

En 1988, j’ai proposé à Raymond de travailler avec moi sur « l’arbre lumière », monument pour le bicentenaire de la révolution française. Je tremblai de mon audace. Ce coup-ci, il m’a accueilli en rigolant franchement. M’appelant du surnom qu’il m’avait donné des années auparavant devant ma maladresse : « l’inversé », il rappela qu’en général, il valait mieux pour moi comme pour les autres, que je fasse le contraire de ce que je voulais faire. Et il m’a dit : « on y va mais tu vas tout perdre ». On y a été, Et avec ceux que j avais convaincus de nous suivre, on y a laissé des plumes,  beaucoup. Mais cela a été une fantastique aventure animée d’un idéalisme d’enfant puisé dans la si belle devise de la France : Liberté, Egalité, Fraternité.

1991, qui se souvient de l’énorme pied de nez  qu’il a fait à l’occasion du Salon des Artistes et Décorateurs au Grand Palais, inauguré par notre ministre de la culture Jaques Lang passant sous un gigantesque Einstein tirant la langue ?

Ces dernières années j’ai beaucoup voyagé. J’étais souvent à l’étranger. Raymond appelait à la maison, comme à son habitude en pleine nuit et demandait « l’homme invisible » à mon épouse Chantal, qu’il a connu la première année de notre mariage.

Années moins mouvementées, plus calmes, régulièrement ponctuées d’inaugurations et de repas amicaux à la Défense où dans Paris, toujours ponctués des passages souriants de Sophie, jusqu’à ces derniers mois  où tout semble être arrivé si soudainement tant il me semblait invincible.

Il est présent tout autour de moi, plusieurs de ses œuvres sont sur nos murs, certaines originales, d’autres exemplaires d’auteur, d’autres encore simple reproductions ou même affiches, à Paris et à Nice. C’est toujours une joie de les regarder, elles sont si belles, et tellement pleines d’amitié et de souvenirs heureux.

Merci douce Sophie de tout ton amour pour lui et d’avoir veillé sur lui comme une fée jusqu’au dernier moment.


Louis Habib Deloncle

Président Garant Assurance Crédit Risques Politiques
Administrateur des Conseillers du Commerce Extérieur de la  France
27 décembre 2009

Bravo pour ce site qui nous donne l'impression que Raymond n'est pas très loin, qu'il est encore près de nous et bien vivant par son oeuvre !

Chaque jour, je regarde encore une de ses toiles ou un de ses dessins et j'y retrouve ce qui m'avait le plus frappé et séduit en lui: son oeuvre n'est pas figée, elle est toujours en mouvement. Il rêvait de pouvoir réaliser une oeuvre d'art qui se projetterait dans l'espace bien au delà des limites physiques de sa toile ou de son atelier mais en plus, même s'il ne l'admettait pas facilement, il projetait aussi son art dans le temps. Non seulement j'ai aimé passionnément ces discussions où nous refaisions l'Histoire avec un grand H, celle des peuples, des religions et des civilisations mais je reste convaincu qu'il a dialogué avec tous les grands personnages dont il a saisi la réalité avec son crayon ou son pinceau.

Le Voltaire du "Point" lui a parlé; chaque fois que je regarde l'un de ses Malraux, je m'attends à voir ses fameux tics animer la toile et son De Gaulle à la BBC le 18 Juin est aussi parlant que le discours du Général lui-même.

Raymond a sa place dans le monumental Musée imaginaire de Malraux car il nous raconte l'Humanité à ses diverses époques par la magie de son don si rare à capter l'essentiel d'un personnage sur une feuille de dessin.

Il restera beaucoup de photo de Jacques Brel ou de Raymond Devos, pour ne citer qu'eux, mais aucune ne montrera autant que les oeuvres de Raymond ce qu'étaient les vraies expressions de ces hommes célèbres.

C'est pourquoi, même si nos rencontres me manquent énormément, je continue à dialoguer avec lui au travers de son oeuvre, ayant la chance d'avoir chez moi sous mes yeux plusieurs facettes de son immense talent.


Louis Jean Calvet

Linguiste, écrivain, spécialiste de la chanson
13 décembre 2008

J’ai rencontré pour la première fois Raymond Moretti en 1963, à Nice. C’est Louis Nucera qui nous avait présentés, et la rencontre avait eu lieu aux studios de la Victorine.

Il m’a fallu attendre le début des années 1990 pour le revoir, par l’intermédiaire de Gérard Davoust cette fois-ci. J’étais en train d’écrire une biographie de Georges Brassens, qu’il avait connu et avec lequel ils faisaient parfois des soirées gastronomiques chez le cuisinier Georges Vedel. Ces repas regroupaient d’authentiques Sétois (Honoré Gébaudan, Maurice Clavel, Pierre-Jean Vaillard…) et des Sétois d’honneur, ou « naturalisés », parmi lesquels Raymond, bien sûr, mais aussi Louis Nucéra, Alphonse Boudard ou Joseph Kessel. Nous avions mangé dans les Halles, Chez Denise, où Raymond avait eu à une certaine époque ses habitudes et où il avait un jour réuni Brassens et Enrico Macias. Il me raconta qu’au petit matin, sortant du restaurant, Brassens l’avait pris par le bras et avait entrepris de lui réciter Ruy Blas de Victor Hugo, les cinq actes d’affilée…Mais nous n’avions pas parlé que de Brassens. J’étais fasciné par le graphisme de Moretti, en particulier lorsqu’il dessinait le jazz (je sais, on ne dessine pas la musique, on la joue, mais il y avait du rythme et de la mélodie dans ses œuvres) et il était fasciné par la linguistique, qui est mon métier, et par les systèmes d’écritures. J’étais justement en train d’écrire une Histoire de l’écriture, lui-même s’était intéressé à l’alphabet hébreu, et nous avions beaucoup de choses à nous dire.

Entre temps il m’avait donné un dessin pour la couverture de mon Brassens, qui servit également d’affiche à un spectacle monté par Alice Dona. Nous avions aussi dîné, une autre fois, avec la petite équipe du livre, Davoust, l’attachée de presse, le maquettiste, et Raymond avait apporté des tirages d’une litho représentant Brassens avec un chat dont l’œil bleu était la seule couleur de l’ensemble, des tirages qu’il avait dédicacés et distribués à tous les présents. Mais le plus souvent nous nous voyions dans un restaurant chinois de la défense, près de son atelier, où il avait sa table réservée et où je ne parvenais jamais à payer l’addition. Nous parlions de l’écriture, donc, ou d’autre chose, de tout, de rien.

Mais ce qui m’a sans doute le plus marqué ce sont ses lettres, ou plutôt son écriture sur ses enveloppes et dans ses lettres: sa graphie me semblait être un prolongement de son art, et j’ai gardé ces missives comme on garde des lithographies, dans un carton.

Je suis frappé non seulement par le trait et le gras du feutre mais surtout par l’occupation de l’espace et par la composition. Rien n’est laissé au hasard et j’ai le sentiment qu’il remplissait la feuille comme on remplit une table de convives ou une pièce d’amis. Pour qu’aucun coin ne soit vide, que personne ne soit abandonné.

La dernière fois que je l’ai eu au téléphone il travaillait à Toulouse, pour la réalisation de la place du Capitole je crois, et il m’avait demandé de résoudre je ne sais plus quel problème étymologique pour une amie qui écrivait un livre et s’interrogeait sur je ne sais plus quel mot rare. Il m’avait donc mis en contact avec elle, comme Louis Nucéra et Gérard Davoust m’avaient mis en contact avec lui, comme il m’avait mis en contact avec Daniel Herréro ou Raymond Devos. Il était un homme de contacts. Le mot contact avait un sens particulier en photographie argentique, désignant un tirage au format du négatif, sans agrandissement. Et je n’oublie pas que Raymond aimait à dessiner à partir de photos ou de portraits, ce qu’il faisait régulièrement pour les couvertures du Magazine littéraire. Mais il agrandissait ou réduisait, selon les cas, se pliant au format de la couverture. C’était un homme de contact et de zoom. Dans ses dessins comme dans ses rapports humains.

J’ai ensuite quitté Paris pour Aix et la Sorbonne pour l’Université de Provence. Du coup nous ne nous sommes plus vus. Quelques cartes, en fin d’année, c’est tout. Jusqu’à sa mort. Mais je conserve les traces de sa graphie épistolaire comme des œuvres d’art.


Mario Beunat

Journaliste - écrivain
3 janvier 2007

Lorsque je fis la connaissance du peintre Raymond Moretti dans les années 60 du siècle dernier son atelier, mis à sa disposition par le Maire de Nice Jacques Médecin, était situé au rez de jardin d’une villa abritant le Conservatoire municipal sur les hauteurs du boulevard de Cimiez. Il émigra ensuite aux studios de la Victorine, toujours à Nice, avant de s’installer près des Halles de Paris.

Ce qui frappait au premier abord dans ses œuvres c’était l’explosion de couleurs jaillissant d’une sorte de bombe artistique avant que la justesse du trait ne l’emporte sur cette première impression. C’était en effet un portraitiste remarquable et souvent ses visages en gros plans ornaient la couverture de grands hebdomadaires.

La justesse de ses jugements ne se limitait pas à son activité artistique.

De plus, et ce n’était pas là la moindre de ses qualités, il était fidèle en amitié.


Mario Darelli

Co-propriétaire du restaurant Le Val d'Isére
2009

Quand deux immigrés se racontent l’amour qu’ils portent à leur mère…
Ma mère venait de mourir quand Raymond me dit « Depuis la mort de la mienne, je l’appelle tous les jours… »
Nous comprenions que nous ne comprendrions jamais ce manque de nos mères absentes de notre quotidien alors chaque rencontre avec Raymond nous faisait parler d’elles, encore et toujours.


Max Gallo

Ecrivain, Historien, Homme politique, Académicien
Mars 2006

Raymond Moretti s’avance, profil classique d’un Etrusque, peau blafarde de l’insomniaque, le regard vif, curieux, pénétrant, habillé en toute saison de la couleur de la nuit, Prince Noir à la créativité généreuse et flamboyante.

Il parle peu. Il écoute, tendu. On est saisi par l’atmosphère qu’il fait naître autour de lui. Ses gestes pourtant sont rares. Mais on ressent cette densité d’un être qui ne se laissera jamais aller à la mesquinerie, à la jalousie, à l’envie, qui ne sait même pas ce que cela signifie être médiocre, être dévoré par la bassesse des rivalités ridicules qui font souvent la trame des relations humaines, petites et sordides.

Lui se veut en harmonie, en complicité, en alliance avec ce qu’il y a de grand dans la vie dans l’homme. Il se concentre sur cela. Il ne voit pas la gangue. Il ne connaît que les pépites. Il lui suffit de quelques traits pour faire surgir une âme.

Je feuillette ce livre « De Gaulle par Malraux » publié à l’occasion du dixième anniversaire de la mort du Général. Jamais peut être les « illustrations » de Moretti n’ont à ce point réussi à rendre sensible le mystère des êtres. La gravité résolue de Jean Moulin, la rêverie inspirée de Malraux, la grandeur mélancolique de de Gaulle. Et les couleurs vives, éclatantes – le bleu, le blanc, le rouge – font jaillir la vie. Et puis les grands traits noirs comme des coups de hache, montrent la grandeur cernée par le grouillement des « petits », et la cruauté de la mort.

Pour réussir à exprimer cela, la puissance exubérante de la vie – le « Monstre » qu’il bâtit, prolifère – et les menaces qui pèsent en elle, il fallait être soi-même lucide et en même temps être emporté par la volonté, la vitalité du faire.

Ainsi Raymond Moretti a créé une œuvre polymorphe, joyeuse et déchirante comme le Jazz. Il n’a jamais calculé, en avare de son talent. Il a soufflé comme un musicien, qui donne tout, à chaque fois qu’il pose sa trompette sur ses lèvres. Et tant pis si l’enchantement va se dissiper, aussitôt qu’il aura fini de jouer. Il recommencera. Son œuvre est dans le mouvement, l’inspiration, l’improvisation quotidienne.

La musique, le chant de Moretti, la mort elle-même ne les a pas interrompus.

Il a peuplé le monde de visages, d’arabesques, de méditations graphiques sur les livres sacrés, les religions.

Il est là, créateur prodigue, Prince Noir, illuminé par la noblesse de son âme.


Mia Dumont

Consultante du superflu - Montréal -
29 juin 2009

Comment parler simplement d’une rencontre avec Raymond Moretti.  Comment trouver les  mots justes pour parler de l’exceptionnel? Comment raconter les déjeuners entre amis, les longues marches dans des rues vides, le tracé d’une amitié faite au fil des ans et des idées – ou plutôt des échanges d’idées – qui finissent par tisser des liens invisibles?

Eddy Marnay et lui étaient de la même famille :  méditerranéenne, exigeante, dérangeante, plaçant la barre toujours plus haut.  Leurs vies se sont mêlées au fil des discussions. On est d’abord une « famille » par la conformité de nos idées, de nos envies, de nos choix.  Je le réalise en lisant son questionnaire de Proust.  Ils étaient de cette race d’hommes pour qui un regard ou une poignée de main avait valeur de contrat. De la race des géants, des meneurs, des entrepreneurs.  Avec la précision et la droiture d’une flèche cherchant sa cible.  D’ailleurs, lorsque Raymond plantait son regard dans le vôtre, il vous transperçait, vous plaquait au mur et vous renvoyait à votre vérité.  Regardez des photos de lui :  le regard est toujours là…

Raymond tenait table ouverte comme d’autres, en d’autres temps, tenaient salon.  C’était un lieu de rencontres privilégiées entre gens de qualité, de pouvoir, de décision, mais d’abord et toujours gens de cœur.  Pas de place pour les indécis, les suiveurs, les mous et les flous. Que du béton, du solide.  Place des Grands Hommes on aurait dit.

Il avait aussi quelques femmes comme amies.  Des forces de la nature, des femmes d’idées et de concrétisation, des femmes d’envergure. Éblouissantes, brillantes, qui apportaient dans ces rencontres et débats d’idées une perspective différente et toujours juste. 

Comment ne pas penser à celle qu’il avait choisie, Sophie, à qui il a tout appris et qui a finalement tout géré, tout réglé, tout vu, tout entendu. Elle connaît l’œuvre par cœur et j’insiste sur le mot « cœur ». 

Lorsqu’il accordait son amitié, cela avait valeur de lien de sang.  Fidèle jusqu’au bout, c’était un résistant, au sens noble du terme.  Une grande figure.  Un grand homme. 

À la mesure de son œuvre qu’on redécouvrira un jour à la lumière d’une grande rétrospective dans un grand Musée.


Michel Leblanc

8 mars 2010

Ce n’était pas hier, mais déjà bien longtemps.
Au retour d’un reportage.
dans une pile de courrier,
une enveloppe.
Impossible de douter de sa provenance,
en y découvrant cette écriture noire,
belle comme son œuvre.
A l’intérieur quelques mots
gravés au stylo suppléant le pinceau.
Autour des mots, des signes,
des dessins aussi noirs que le texte :
« Michel, tu ne crois pas qu’il serait bon de se voir ».
C’était tout, j’avais compris.
Nous ne nous étions pas rencontrés depuis six mois.
Il n’avait rien à me dire,
si ce n’est ce message traduisant l’amitié,
cette amitié qui guidait sa vie
et qu’il appelait en retour.
Cette lettre est encadrée dans mon bureau.
Je n’ai jamais su peindre, ni dessiner
mais cela ne m’empêche pas d’écrire aujourd’hui :
« Raymond, tu ne crois pas qu’il serait bon de se voir ».


Patrick Leluc

7 novembre 2008

Bien avant que nous devenions amis, j’avais fait la connaissance de Raymond Moretti au cours d’un dîner que ma mémoire situe à la fin de l’année 1981.

Dans les premiers instants de ce dîner il m’apparut comme un être assez sombre et peu loquace ; ayant déjà une certaine connaissance de son œuvre, je déplorais dans mon for intérieur le contraste entre l’exubérance et la joie de vivre qu’elle reflétait et son auteur, lorsque soudainement notre homme s’anima : après avoir raconté avec une verve irrésistible quelques tours (pendables !) joués à des amis et dont il était le principal protagoniste, Raymond se mit à développer ses considérations sur les voyages touristiques.

Son propos était qu’en raison des incommodités des transports en avion ou en chemin de fer, de l’inconfort des hôtels, des caprices du climat, il valait mille fois mieux ne pas se déplacer et faire plutôt venir à soi le lieu lointain qu’on voulait visiter.

Alors pour illustrer sa thèse, il nous raconta que pour organiser un "séjour" au Maroc, il n’avait pas hésité à faire installer une vaste tente berbère dans son appartement de La Défense, sous laquelle il s’était tenu une journée entière, entouré d’objets de ce pays et plongé dans la lecture des œuvres de ses poètes. En outre pour reconstituer le plus complètement possible l’ambiance typique du Maroc, il avait fait projeter sur les murs des diapositives de Marrakech et de Casablanca, pendant que sa chaine hi-fi diffusait en permanence des mélodies arabes.

Bien entendu nous précisa – t-il, les repas lui étaient livrés par un traiteur parisien originaire de ce beau pays !

Voilà tout Raymond Moretti, grand artiste, homme généreux et profond et en même temps un être tellement attachant par son sens de l’humour et son originalité.


Philippe Massoni

Préfet de police honoraire
21 janvier 2010

Le 9 juin 2005, au cimetière du Père Lachaise, représentant le Président de la République, Monsieur Jacques Chirac, j’ai prononcé une allocution en mémoire de Raymond MORETTI.

Raymond Moretti nous avait quitté.

Il était allé rejoindre la cohorte de ceux qui nous habitent, des hommes de pont, figures et artisans du monde imaginaire dont parlait Malraux.

Un ami de longue date venait de disparaître, peu de jours après Jean Schmitt.

J’avais connu Raymond lors de l’inauguration de l’Institut Universitaire RACHI à Troyes et j’avais été conquis et impressionné par l’homme qu’il était, la force qui se dégageait de lui, sa curiosité, sa simplicité, sa vigueur, ancrées dans les plus grandes inquiétudes et espérances de l’Humanité.

Il m’apporta la preuve de son amitié à plusieurs reprises.
C’était un homme de cœur, de fidélité et de conviction.
C’était aussi un très grand artiste qui aimait l’Universel.
Sa voix physique s’est éteinte mais son œuvre est intemporelle.


Pierre Herran

Président de la Fondation Raymond Devos
11 mai 2009

Chaque fois que j'ai vu Raymond Moretti, il était vêtu de noir. Etait-ce par opposition à son oeuvre si coloré ?

Je me souviens qu'un jour,  Raymond Devos me fit remarquer avec son enthousiasme habituel :
" Regarde ce Moretti ! Regarde ! Admire ce portrait de Louis Armstrong ! Il a peint un homme noir et pourtant,  c'est tout en couleurs ! C'est merveilleux !"


Pierre Lefranc

Administrateur-fondateur de la Fondation Charles de Gaulle
13 novembre 2008

J’ai fait la connaissance de Raymond Moretti en octobre 1985 lors de l’exposition de quelques-unes de ses œuvres du Musée de La Poste. Je l’ai alors félicité de ses beaux portraits de Charles de Gaulle. Nous sommes ensuite restés liés moi par admiration pour son grand talent et lui par attachement à ce que représentait le Général.

C’est ainsi qu’à sa demande j’ai participé à son magnifique ouvrage sur André Malraux paru en 1988. En mai 1991, nous avions formé le projet de l’édition d’un ensemble de luxe illustré par lui sur les grands hommes du XXe siècle. Je garde la liste qu’il avait établie sur la nappe en papier du restaurant et sur laquelle nous avoins retenu les noms de : Ghandi, Churchill, de Gaulle, Ben Gourion, Lénine, Mao Tsé-Toung et Jean XXIII. Malheureusement l’éditeur n’a pas donné suite.

Tout au long de notre relation, Raymond n’a jamais cessé de faire bénéficier de sa collaboration gracieuse l’Institut Charles de gaulle. Longtemps les correspondances et publications de cet organisme furent précédée d’une série des portraits de Charles de Gaulle depuis sa jeunesse jusqu’à sa disparition. Il nous a aussi offert quatre superbes couvertures pour notre revue Espoir. Nous lui en sommes pour toujours reconnaissants et demeurons très attachés à la mémoire de l’artiste majeur qu’il fut.

Pour ma part, je suis heureux de l’amitié qu’il a bien voulu me témoigner.


Raoul Sangla

Journaliste, scénariste et réalisateur
29 octobre 2008

J’ai rencontré Raymond au temps où "Le Monstre" rhizomait aux Halles et par l’entremise de Denise Glaser qui le connut à Nice, lors d’un discorama où soufflait Louis Armstrong.

Bien plus tard je filmai l’artiste à La Défense. Ma caméra rodait, d’abord, dans l’antre du Monstre immigré là, pour atteindre l’esplanade où elle musardait, cinquante minutes durant, parmi danseurs, musiciens, acteurs, et travailleurs immigrés, eux aussi, qui oeuvraient sur des chantiers en cours.

Raymond croquait, sur chevalet, Klaus Kinski et Claude Nougaro au passage de l’objectif qui arpentait le lieu en ce printemps de 1976.

Je revins avec ma caméra, vingt ans après, pour filmer un entretien de vingt-six minutes, entre l’hôte du Monstre et Philippe Lapousterle, journaliste dans notre série "Référence", pour TV5.

Pendant ces quarante années, je fus de ces tablées morettiennes, chez Denise, d’abord, puis chez El Karim. J’y fus, par jeu, la cible de notre ami : ses origines populaires, égales aux miennes, l’autorisaient. Il moquait ma qualité de communiste, non pas pour me la reprocher, mais, le croirez-vous, pour n’être pas assez révolutionnaire. Il n’avait pas tort. Je lui baisais la main, en arrivant, même s’il tentait de la soustraire à mon hommage en me rabrouant (mollement). Je l’embrassais en prenant congé. Fraternellement.


Renaud Donnedieu de Vabres

Ministre de la culture et de la communication
3 juin 2005

Avec Raymond Moretti, nous perdons l’un des plus grands plasticiens de notre temps, un créateur au génie multiple qui a imprimé sa marque sur des supports et des échelles extrêmement variés.

Sa passion pour le jazz, sa vision de l’homme libre et de l’histoire millénaire, ses amitiés artistiques profondes composent une œuvre qui enchante notre cadre de vie, depuis les célèbres séries de timbres à l’effigie des étoiles du jazz et de la chanson jusqu’au monumental « Mur » du Forum des Halles, récemment remonté au Musée de Tautavel.

L’ascension fulgurante de ce petit niçois qui signa sa première œuvre avec Jean Cocteau, « L’Age du Verseau », est celle d’un curieux permanent qui explore les univers de l’affiche, du tapis, de l’édition. Les lecteurs du Magazine littéraire connaissent bien ce magicien du trait qui en plusieurs centaines de couvertures a su véhiculer un message de culture et de concorde.

Un message qui culmine avec la fameuse Croix occitane qui orne la place du Capitole, magistrale leçon d’histoire en 29 tableaux de la Ville rose.

Le grand public, les jeunes plasticiens qu’il n’oubliait pas d’aider, le IIIème millénaire qu’il a si bien réussi à défier, n’oublieront pas la discrétion, la fidélité aux origines, le regard intense de ce très bel artiste.


Robert Broussard

Préfet Honoraire
15 avril 2009

J’ai connu Raymond au début des années 1980 par l’intermédiaire d’un ami commun, Bernard Pouteau. Par la suite, nos rencontres avaient lieu en moyenne une fois par mois, soit seuls, soit en compagnie de deux ou trois autres amis à l’occasion d’un dîner.

Ce qui m’a de suite frappé chez Raymond c’est sa faculté à parler de tous les sujets,  notamment ceux touchant à l’actualité. Il était au courant de tout …et pourtant il était avide d’en savoir toujours plus ! Ainsi, il enchaînait les questions pertinentes et les réflexions personnelles avec une telle aisance qu’il entraînait son interlocuteur (et vice versa..) sur un autre terrain sans le moindre a priori. D’où des discussions à bâtons rompus qui se poursuivaient très tard dans la nuit…

A plusieurs reprises, nous avions noté que la date de notre rendez-vous mensuel correspondait avec un évènement fort et très récent de l’actualité. Un soir, contrairement aux fois précédentes, il n’y avait rien à signaler sur le front des informations. D’entrée, il m’en fit  la remarque avec dans l’expression cette mimique d’étonnement si caractéristique chez lui. A ce moment précis, mon portable sonne et nous apprenons le décès brutal de l’ex-ministre de la Défense Charles Hernu … Nous en étions à la fois peinés et dubitatifs sur ces coïncidences qui se répétaient…

Je ne suis pas le seul à avoir apprécié sa grande fidélité en amitié. La rencontre prévue avec un ami passait avant toute autre chose. Un soir alors que nous étions une fois de plus à table, il fut appelé sur son portable. La conversation fut brève: « Je n’ai rien oublié, lança-t-il à son interlocuteur, je vous avais prévenu que je ne pouvais pas… ». Et Raymond de m’expliquer : « Il y a quelques jours le Ministère de la Culture m’a informé que l’on voulait me remettre une décoration ce soir… et moi j’avais rendez-vous avec toi ! ». Interloqué par cette explication, je l’ai regardé sans pouvoir dire un mot. Il avait le sourire et le faciès de celui qui n’était pas mécontent de sa réponse. Du vrai Moretti...


Roland Faure

Président du Symposium Sportel Monaco
25 janvier 2010

Raymond ! Tu as illustré – sur ma demande - pour France Inter et Tf1, une page d’histoire de la Vème République, une nuit de 1981…

Et, huit ans après – sans que je te le demande - tu as fait mon portrait, saluant la création de France Info, un peu avant celle du Sportel, à Monaco, où nous nous étions retrouvés auprès de Georges Bertellotti.

Amitiés toujours !